Combien de traceurs pour pister les visiteurs des sites des marques horlogères ?

L’intelligence digitale était le thème de la journée internationale du marketing horloger et de la journée de recherche organisée la veille par le Prof. François Courvoisier de la Haute école de gestion Arc. A cette occasion, nous avons présenté une première analyse des pratiques de traçage observables sur les sites horlogers.

L’intelligence digitale se nourrit de données, et notamment de données comportementales recueillies en observant le comportement de navigation des internautes sur les sites web. Techniquement, cette analyse exploite des traceurs numériques de différents types dont des cookies et des appels JavaScript.

En tant qu’internaute, nous acceptons très régulièrement et sans trop y prêter gare les messages d’information sur les conditions générales et l’utilisation des cookies présents sur la plupart des sites web. Le domaine horloger n’y fait pas exception et ses sites proposent souvent de telles demandes de consentement à leurs visiteurs.

Derrière ces messages anodins se cache une véritable industrie de traçage des internautes (web tracking) à des fins statistiques (web analytics), publicitaires (targeting) ou de performance. L’objet de ce travail de recherche était de vérifier la présence de traceurs sur les sites des marques et de mieux comprendre leur nature.

Nous avons étudié 80 sites, dont ceux des 70 marques du classement L2 Watches & Jewelry Digital IQ Index 2017, auxquels une dizaines d’autres marques ont été ajoutées. L’étude a pu être réalisée grâce à l’aimable collaboration de la société Evidon qui nous a gracieusement ouvert l’accès à sa solution Trackermap. Cet outil est capable de détecter la signature de plus de 4’000 traceurs différents.

En moyenne, l’étude dénombre 29 appels à des traceurs pour chaque page d’accueil de site horloger et une trentaine de cookies activés, avec un nombre moyen de 13 traceurs différents par site. En tout, plus de 200 traceurs ont été recensés sur notre échantillon de 80 sites. Les plus répandus sont ceux proposés par Google et Facebook, lesquels sont présents sur respectivement sur 90% et 60% de l’échantillon.

Un exemple de visualisation des liens entre les sites (ronds) et les traceurs (triangles). Un graphique réalisé avec Lightbeam, un module complémentaire pour Firefox.

Ce nombre élevé de traceurs est en réalité assez proche des résultats observés par une étude allemande, laquelle a dénombré en 2016 environ 33 appels à des traceurs par site.

Dans un univers du luxe qui cultive souvent des valeurs de discrétion, le visiteur est donc bel et bien tracé lors de son parcours. Dans 20% de l’échantillon, la présence de solutions d’analyse fine du trafic est avérée. Il s’agit notamment de systèmes capables d’enregistrer des sessions utilisateur et de les rejouer au clic et à la frappe de clavier près. Les risques potentiels de sécurité de tels outils ont été relevés dans une récente étude de l’Université de Princeton.

La prolifération des systèmes de traçage pose de nombreuses questions, notamment quand ce sont les mêmes solutions qui sont présentes d’un site à l’autre, ce qui induit un risque de suivi du parcours des internautes sur l’ensemble de ces sites. Le consentement de l’internaute est sans doute aussi à réfléchir dans la mesure où l’on peut douter que la majorité des utilisateurs réalise vraiment l’ampleur du traçage dont ils font l’objet.

Avec l’entrée en vigueur en mai prochain du Règlement général européen sur la protection des données (RGPD), les obligations des entreprises en matière de consentement vont se renforcer. Déjà plusieurs marques horlogères affichent une plus grande transparence dans leurs conditions générales sur la nature des traceurs utilisés et sur la façon de refuser leur utilisation. L’avenir dira si cette évolution est suffisante pour rétablir la confiance des internautes et endiguer la croissance des outils de protection contre les traceurs et les publicités (tracker et ad blockers).


PS : L’étude complète sera publiée dans le recueil à paraître fin 2018 aux Editions Loisirs et Pédagogie. Elle est également disponible en téléchargement, tout comme la présentation associée.

Contact: Institut d’ingénierie des médias – Prof. Arnaud Dufour

 

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