Conférence View Source 2019 : CSS, AR, DevTools, … et Privacy !
Revenons un petit moment sur la conférence View Source 2019 qui a eu lieu à Amsterdam il y a peu. Notamment sur les deux interventions de Selena Deckelmann et Kenji Baheux qui résonnent bien avec le refrain du « maître de cérémonie » Henri Helvetica répétant tout au long de la conférence que la vie privée est un sujet important pour la plateforme web. L’accessibilité aussi, notamment en considérant tous les internautes de ce monde, du matinal joggeur avec sa montre connectée en bord de lac à Ouchy, à cette femme de Gambie avec un bidon d’eau sur la tête et téléphone connecté à l’oreille.
Selena présente donc comment Firefox aide à protéger la vie privée (« Our Privacy and the Web« ), mais nous amène d’abord sur le terrain de la traque de nos vies numériques, profilées, source de précieuses données utiles pour toutes ces activités de « psychographic marketing« , dont celles d’apprentissage pour nourrir les machines d’intelligence artificielle. Si durant son intervention Selena ne fait pas référence directement à l’IA, elle se concentre sur la plateforme web qui a une carte à jouer sur ces terrains et rappelle le principe n°4 du Manifeste Mozilla « La sécurité et la vie privée de chacun sur Internet sont fondamentales et ne doivent pas être facultatives« . L’article de Julie E. Cohen « What privacy is for » est cité comme repère d’importance. On en comprend que la protection de la vie privée est l’une des ressources pour s’épanouir et développer un esprit critique qui participe du processus de socialisation. Selena en extrait un objectif de la protection de la vie privée que je reformule comme suit : faire en sorte que le développement de l’esprit critique et celui de valeurs communes ne se fassent pas selon une procédure normalisée, suivie de près, souvent sans réfléchir, comme de bons soldats qui marchent au pas les uns derrière les autres. On peut ici compléter, Julie soulignant l’impact négatif en démocratie, avec alors des citoyens sans véritable capacité d’élaborer de significatives idées pour une société humaine épanouie.
De là s’entremêle alors dans mon esprit la seconde intervention, celle de Kenji (The Web in Different Parts of the World), qui nous montre que les usages d’internet et du web ne se fondent pas partout sur le globe sur les mêmes parcours, vécus et facteurs motivationnels. En guise d’exemple, URL est un concept bien inconnu des citoyens d’Indonésie (d’autres détails intéressants à découvrir dans sa présentation). Alors quid de possibles différences culturelles plus profondes, justement en lien avec la vie privée. En effet, je me souviens alors des propos de Gaspard Koenig, dans l’émission « L’IA menace-t-elle la liberté individuelle ? » et qui souligne (minute 8:00) « en Chine il y a confusion entre données privées et données publiques » avec la vie privée qui n’est même pas une véritable notion, que selon les spécificités culturelles, confucéenne ici, (minute 9:50) « conserver ses données personnelles est vu comme quelque-chose d’égoïste, on bénificierait alors des progrès sans y avoir contribué« . Alors, le principe n°4 comme valeur commune et globale ?
Pour finir sur la thématique dite « privacy » de la conférence View Source 2019, je reviens sur la première intervention. Selena évoque The Spinner, « un service qui vous permet d’influencer inconsciemment une personne spécifique, en contrôlant le contenu des sites Web qu’elle visite habituellement« . Dit comme ça, rien de nouveau, tout au moins ce service ne cache-t-il pas ses intentions. Même si on flaire un certain goût de son auteur pour le pastiche, cela résonne bien avec « la théorie du nudge » que rappelle d’ailleurs Gaspard Koenig, avec les sous-jacentes stratégies d’incitation pour lesquelles moins de protection de la vie privée est un très bon catalyseur.
Alors voilà, la conférence View Source 2019 était intéressante, diversifiée, avec de bonnes démystifications sur de nombreux sujets techniques « Demystify Modern CSS Layouts with DevTools« , « Demystifying Speed Tooling« , aussi de bons éclairages sur les processus de standardisation avec ou sans consensus, le tout entrelaçé de considérations autour de la « privacy », « Our Privacy and the Web« , « Privacy Initiative on the Web« . Mais aussi, sans que ce soit un malaise, une sorte d’ambiguité sur ce dernier sujet. L’intervention de Selena était (très) inspirante (la preuve avec ce post), mais pour un intitulé « Demystify privacy and the Web » (plus en phase avec la volonté affichée de démystification durant la conférence), peut-être est-il alors souhaitable d’élargir le spectre des disciplines, avec des interventions moins techniques, plus sociologiques et philosophiques. Il me revient un autre propos de Gaspard Koenig « d’un côté on a des philosophes qui ne savent pas de quoi ils parlent, et de l’autre côté des techniciens qui ont le nez dans la machine« . Je doute que la communauté View Source soit hypocrite ou naïve sur ces sujets, que les instances de standardisation du Web soient des espaces appropriés pour en débattre, alors pourquoi pas la prochaine conférence View Source 2020 avec quelques interventions de sociologue ou philosophe sur cette thématique ?
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