Yoann Douillet a rejoint le MEI : « Pour moi il s’agissait de décloisonner un peu le design industriel. »
En Mars 2021, Yoann Douillet a rejoint la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD)
Yoann est un designer avant tout curieux : il aime explorer et découvrir les nouvelles interfaces numériques ainsi que créer et concevoir des objets et expériences fun, engageantes ou même complètement absurdes.
Initialement dans le design industriel, il a su adapter ses compétences pour développer un profil hybride s’inscrivant parfaitement dans la mouvance d’un design plus numérique.
Scientifique, artistique et polyvalent, Yoann est sensible aux démarches de recherche en design, et de design orienté usager.ère.s.
Son approche et son expérience apportent déjà aux projets du MEI un dynamisme et une approche unique.
Racontes-nous, où as-tu commencé ?
J’ai commencé ma vie de designer par ce qu’on appelle le « design industriel » : il s’agit d’imaginer et de concevoir des objets de tous types. En général le design industriel consiste à penser les fonctionnalités pour améliorer l’utilisabilité, l’esthétique pour améliorer l’attraction et les techniques de fabrication pour optimiser les couts de production et l’empreinte écologique.
Les projets numériques et interactifs suscitaient un vif intérêt pour moi
Dans un premier temps, j’ai obtenu un master en Génie Industriel et Design Industriel en 2011, puis j’ai eu la chance de partir pendant 2 ans à Montréal afin d’y exercer cette profession au sein d’une petite entreprise québécoise, MT Concept. J’ai participé à la mise en place du bureau de création et de ses méthodes, puis à différents projets de conception de stands, enseignes publicitaires… J’ai tout particulièrement apprécié la proximité avec leur machines et techniciens pour développer les projets en interne.
A mon retour en France, j’ai continué dans cette voie au sein du cabinet d’ingénierie AMEG Group. à Grenoble de 2013 à 2015. Mais avec l’avènement du numérique, je sentais que mon intérêt pour ce métier s’étiolait : trop industriel et pas assez orienté utilisateur. J’avais donc besoin de changement et les projets numériques et interactifs suscitaient un vif intérêt pour moi. Cependant, mes connaissances ne me permettaient pas de m’intégrer dans ce créneau. J’avais donc besoin d’acquérir les compétences pour travailler sur des projets interactifs et orientés usager.ère.s.
Souhaitais-tu développer ces compétences pour rester compétitif ou te diriger spontanément vers ces nouvelles formations ?
Un peu des deux. Le design industriel est un marché très fermé, avec une offre de formation particulièrement large mais très peu d’opportunités d’emploi pertinentes. À cette époque, tout le marché s’est recentré sur le design numérique : ux, ui, webdesign… À tel point que lorsque j’ai commencé mes études, un « designer produit » était quelqu’un qui allait être capable de concevoir des objets (produits industriels), tandis qu’aujourd’hui un « designer produit » c’est un individu qui conçoit des interfaces, des applications, des sites web… En résumé qui fait du numérique.
Aussi, j’avais envie de concevoir des interfaces numériques, des interactions, d’écrire du code et lier ces nouvelles compétences avec ma connaissance du design industriel pour développer une pratique plus personnelle et hybride du design. Pour moi il s’agissait de décloisonner un peu le design industriel.
Qu’est-ce qui t’a conduit vers la Suisse ?
Je cherchais un niveau Master dans ce domaine et le seule qui correspondait à mes besoins était proposé par la HEAD à Genève. Une formation complète en media interaction design, intégrant du game design, de l’objet connecté, de l’interface, VR, AR… Bref on touche à tout pendant 2 ans afin de trouver sa voie et ses centres d’intérêt et d’expertise. Je ne pensais pas venir en Suisse avant d’arriver à la HEAD, et j’ai beaucoup aimé le pays, la ville (Genève, puis par la suite Lausanne), l’ambiance et les gens. Et maintenant que j’y suis, j’y reste !
Tu as continué ton parcours en passant par l’EPFL : quel était ton travail en tant qu’assistant de recherche ?
De 2018 à 2020, j’étais assistant dans le laboratoire de recherche en design de Nicolas Henchoz à l’EPFL. Ce laboratoire est associé à l’ECAL : l’EPFL+ECAL Lab et mon chef de projet était Romain Collaud. Mon travail consistait principalement à développer, pendant 2 ans, un projet de recherche sur la méditation guidée multimodale Meditation Robotics.. C’est un projet initié par le laboratoire de neuroscience cognitive de l’EPFL avec Olaf Blanke, Simone Gallo et Giulio Rognini, au sein de Metaphysiks, une startup de leur création au sein de laquelle j’ai notamment travaillé sur leur projet Still.
Mon travail a consisté à développer une expérience utilisateur.trice capable de s’adapter aux besoins spécifiques de chaque usager.ère
Ils ont développé, au cours de leurs recherches, un dispositif haptique qui se place sous les pieds de l’usager.ère et qui reproduit des sensations basés sur des variations de températures, de pression ou de rythme. Pour vulgariser, il s’agit d’une boite avec deux semelles qui sont capables de reproduire une sensation telle qu’avoir les pieds dans une eau en mouvement. Le dispositif est bien sûr capable de produire différentes sensations, qui restent très subjectives à chaque usager.ère. Ce dispositif est couplé à une expérience de méditation guidée au travers d’une app connectée à l’appareil, permettant de faciliter l’accès à un état méditatif.
Étant donné que chaque usager.ère a une perception sensorielle différente, mon travail a consisté à développer une expérience utilisateur.trice capable de s’adapter aux besoins spécifiques de chaque usager.ère. J’ai donc conçu, sur la base d’itérations, d’hypothèses de recherches et de tests formatifs et sommatifs, une application mobile spécifique à cette expérience.
Qu’est-ce qui fait, selon toi, que cette expérience s’adapte avec succès à chaque utilisateur ?
L’application propose différents scenarios pour définir les préférences haptiques de l’usager.ère. On a observé durant les phases de recherche et d’évaluations des préférences pour des scenarios pragmatiques ou hédoniques, en fonction de différents paramètres (âge, connaissance du système, expérience en méditation, aisance technologique). On propose donc 3 scénarios (pragmatique, intermédiaire, hédonique), que l’usager peut sélectionner librement. A la fin de chaque scenario, un profil haptique est attribué à l’usager.ère, et le système va adapter l’expérience de méditation multimodale en fonction de ce profil.
Peux-tu nous parler de ta participation au projet Mero, qui semble prendre le contre-pied de Meditation Robotic ?
Mero est un projet réalisé en parallèle de Meditation Robotics. C’est une critique de l’utilisation des nouvelles technologies pour la méditation (VR, applications mobiles, …) et donc également une critique de Meditation Robotics. Le principe de la méditation, c’est de pouvoir se recentrer sur ses propres sensations, sur son temps présent et ressenti. Or les expériences de méditation utilisent des outils pour faciliter l’accès à la méditation en stimulant les sens, ce qui est contreproductif. Mero est donc un « outil » de méditation.
Plus l’usager panique, plus le système tente de l’aider, et du coup moins l’usager arrive à suivre.
L’expérience demande à l’usager de se concentrer sur des sphères qui apparaissent dans l’espace environnant (la réalité augmentée projette l’espace de l’usager sur l’écran, et superpose des sphères dans cet espace grâce à AR core). Ces sphères « respirent » (leur taille grandit et rapetisse comme un poumon) et il est demandé à l’usager de caler sa propre respiration sur celle des sphères. La respiration de l’usager est monitorée par une ceinture sur son torse, et si l’usager arrive a bien suivre le rythme, il passe au niveau suivant. La critique est là aussi, les applications et expériences de méditation sont gamifiées, avec des niveaux à franchir, ce qui n’a pas beaucoup de sens…
Plus l’usager avance dans les niveaux et plus il est difficile de suivre le rythme des sphères : la ceinture va se serrer et se desserrer grâce à un moteur, contraignant l’usager à suivre le rythme. En tentant d’aider l’usager, cette interaction avec la ceinture va le stresser, le faire paniquer et encore plus l’empêcher de suivre le rythme demandé par l’expérience. Plus l’usager panique, plus le système tente de l’aider, et du coup moins l’usager arrive à suivre. Ce qui fait que le système panique encore plus et continu à frénétiquement serrer et desserrer la ceinture, et donc ça devient contreproductif.
En regardant ton site, tu sembles toucher à tout : 3D, illustration, visualisation… Qu’est-ce qui te parle le plus ?
Tout. J’aime l’aspect versatile du design, et ce qui me plait le plus c’est justement d’être capable de toucher un peu à tout. L’usage de la 3D et la conception d’objets sont des vestiges de ma pratique industrielle. L’illustration est un hobbie qui me permet de créer des visuels pour mes projets. La programmation me permet de prototyper des objets et expérience interactives. Ça me permet également de ne pas être trop perdu lors de collaboration avec des experts du domaine pour les développement de projets :).
Après, l’aspect qui m’intéresse le plus reste le design d’expériences usager.ères.
Tu sembles avoir participé à des projets passionnants tels que le Ximoan – VR experience. Peux-tu nous en dire plus sur sa création et la place que tu as pris dedans ou ton rôle ?
Les différentes évolutions du projet nous a mené vers cette expérience collaborative en VR.
Ximoan est une expérience collaborative en réalité virtuelle, inspiré de la mythologie et des rites funéraires aztèques. Un joueur prend la place d’un défunt et s’allonge sur le hamac en bois, et va vivre une expérience contemplative d’une traversée des enfers, vers le paradis. Le second joueur prends le rôle d’un shaman, et doit aider le défunt à atteindre le paradis en jouant du Teponatzli, un instrument de percutions aztèque.
Ximoan a été initié dans le cadre d’une exposition de la HEAD-Genève à la Design Week de Milan, sur le thème du Salon Ludique. Ce projet a été réalisé avec avec Patrick Donaldson, Vincent De Vevey et Laurent Monnet. Ce fut le fruit d’une année de développement, avec plusieurs étapes itératives. Par exemple, avant de devenir une expérience VR, c’était un jeu compétitif sur iPad, avec des pions physiques déplacés par les joueurs.
Les différentes évolutions du projet, qui ont donné lieux à des tests usager.ère.s et des présentations devant des experts, nous a mené vers cette expérience collaborative en VR.
Au sein de l’équipe, mon rôle a consisté à travailler sur les aspects :
- du design de produit (design + conception du hamac et du Teponatzli),
- du design d’interactions (pour le prêtre),
- de modéliser les assets et le monde virtuel du défunt
- et de produire la partie Hardware et électronique du projet allant de la sélection des composants électroniques utilisés dans l’expérience à leur bonne intégration dans le hamac et le tambour.
Salone Ludico from Master Media Design on Vimeo.
Vous semblez avoir fait pas mal d’exposition avec ce concept, que retires-tu de cette expérience ?
Je retire de ces salons de bonnes expériences humaines, et des rencontres avec des personnes de milieux complètement différents du design.
Ce projet n’était absolument pas destiné à avoir une vie à la suite du Salone Ludico et n’était pas pensé pour être transporté de salons en salons. Cela nous a causé quelques galères en termes logistiques et m’a appris qu’un produit doit être envisagé et conçu pour aller au-delà du brief originel. Je retire aussi de ces salons de bonnes expériences humaines, et des rencontres avec des personnes de milieux complètement différents du design. Premièrement, le public que l’on a pu rencontrer durant ces festivals/expositions nous ont permis de tester notre projet, d’identifier des problèmes et envisager de potentielles améliorations. C’est ainsi que nous avons mis en place des sessions de test usagers, bien que cela n’était pas prévu initialement. Tous ces retours d’expériences nous ont permis de réfléchir à une nouvelle expérience de VR, sur laquelle nous travaillons actuellement avec une partie de l’équipe de Ximoan. Aussi, les rencontres avec les professionnels du monde de l’audiovisuel et de l’animation nous ont ouvert les portes d’un univers qui nous était complètement étranger avant Ximoan.
Tu es plutôt réalité augmentée ou réalité virtuelle ?
Ce sont deux media différents, ce serait comme comparer du papier et un écran. Chacune a ses avantages et inconvénients. La réalité augmentée est un puissant medium qui peut intervenir dans notre vie quotidienne au travers de nos smartphones et être utilisé comme outil réellement utilitaire (je ne dis pas qu’on a trouvé quoi en faire aujourd’hui, mais on ne sait jamais). La réalité virtuelle est plus contraignante, il faut du matériel spécifique pour avoir une bonne expérience. Mais les capacités d’immersion, de narration et d’interaction sont incroyables.
Selon moi, la réalité augmentée est un medium pragmatique, et la réalité virtuelle est plutôt hédonique. Je n’ai pas de préférence, il faut juste bien choisir le medium en fonction du projet.
Qu’est-ce qui t’a conduit au MEI ?
Mon expérience précédente à l’EPFL m’a donné le gout de travailler sur des projets académiques et de recherche. Je souhaitais donc continuer dans cette voie. L’approche plus pragmatique des projets du MEI et leur ancrage dans la réalité d’un tissu économique régional ou national font de ce poste une réelle opportunité de combler mes attentes en termes de recherche et de conception d’expériences usager.ère.s utiles.
Quels sont tes projets au MEI ? Qu’est-ce qui te motive ?
J’interviens actuellement sur 3 projets du MEI liés à des problématiques variées; une application de visualisation des émissions de CO2 produits par notre navigation internet, une expérience muséale virtuelle, et les projets liés à la 50eme volée des ingénieurs des médias.
Ce qui me motive, c’est de pouvoir intervenir sur des projets de recherche appliqué intéressants, liés à des problématiques sociétales contemporaines. Il y a une réelle volonté de tous les acteurs de chaque projets de les pousser jusqu’au bout, et ça me motive également -malgré la covid- de pouvoir collaborer avec des équipes hyper compétentes et complémentaires comme celle du MEI.
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