Produire du contenu interactif, une nouvelle donne
Le récit interactif, nouvel objet culturel, pose un certain nombre de questions, la production de contenus doit être repensée. La production des contenus et leur mise en scène interactive bouleversent les métiers et les savoir-faire. Les auteurs sont confrontés à des questions inédites où se mêlent technique et informatique.
Pour Hugues Sweeney, producteur web à l’ONF. le terme web documentaire est trop restrictif : « A l’ONF nous les appelons productions interactives plutôt que webdocumentaires, car nous travaillons avec des cinéastes mais également avec des photographes, des artistes du graffiti, des romanciers en image, des concepteurs web ou encore des développeurs web. Nous pensons en terme de travail d’équipe. C’est très important ».
La vraie révolution à laquelle les auteurs sont confrontés aujourd’hui ne concerne pas tant la manière de raconter des histoires que le contexte de diffusion. Il suffit aujourd’hui de vingt mille francs pour s’équiper d’un matériel vidéo professionnel. L’accès au web à haut débit s’est démocratisé, le public est en attente de matériel de pointe et de contenus pour l’exploiter, les plateformes de diffusion et les outils de création existent.
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p style= »text-align: justify; »>Cependant, de nombreux producteurs de documentaires restent encore ancrés dans l’ancien système étroitement lié aux diffuseurs (Télévision) et aux structures de financement traditionnels (Organes culturels nationaux de soutien). Si ces derniers n’ont pas encore fait le pas vers le financement de productions pour le web, les auteurs et documentaristes doivent de leur côté s’affranchir des formats d’écriture et des durées de diffusion adaptées à la télé.
Pour trouver un public sur le web, les auteurs et les producteurs de contenus doivent prendre en compte un contexte de publicité et de visibilité très différent de celui des médias traditionnels. Attirer l’attention sur le web demande une stratégie adéquate : il faut retenir le public et capter l’attention dans un laps de temps bien plus court que celui d’une bande-annonce traditionnelle.
Les auteurs doivent apprendre à composer avec les qualités intrinsèques d’internet, envisager leur récit spécifiquement pour ce média et non plus simplement essayer d’adapter un produit destiné à la télévision. Cette nouvelle perspective demande de repenser entièrement les équipes de production, d’y inclure des compétences issues de domaines sans liens traditionnels avec la production audiovisuelle. Concepteurs multimédia, créateurs d’interfaces, gamedesigner, spécialistes des réseaux sociaux peuvent apporter une expertise déterminante dans la conception d’un documentaire interactif.
Vers de nouveaux usages
Le spect-acteur est encore un peu perdu face à une histoire qu’il est invité à récrire. La place assignée du lecteur, du spectateur, n’est plus seulement devant l’écran ; il participe désormais à la construction de l’histoire.
1066 : The Battle for Middle Earth, une série documentaire dramatique diffusé en 2009 sur Channel 4 a réuni 1 million de téléspectateurs alors que le jeu homonyme atteignait 25 millions de joueurs. Cet exemple met en lumière l’immense succès des jeux vidéo et ouvre une question : comment amener ces joueurs à regarder un contenu documentaire ?
Les auteurs de documentaires doivent se poser cette question et investir ces terres inconnues. Les grandes marques ont déjà commencé la colonisation par un storytelling adapté à ce public.
En dépit des innovations technologiques récentes – téléphones intelligents, tablettes tactiles, télévision connectée – l’histoire, le fil narratif reste la composante essentielle pour trouver un public. Pour un auteur, la question centrale reste celle du sens.
Mais le spectateur tend aujourd’hui à disparaitre dans son sens habituel. Il n’est plus seulement face au spectacle mais recherche une expérience émotionnelle sur laquelle il puisse agir, dans laquelle il puisse s’impliquer. Le public ne se contente plus d’un film au contenu informatif, toute l’information est déjà à portée de clic sur la toile.
L’économie du webdocumentaire en question
Prioritairement destiné à internet – mais bientôt aussi à la télévision connectée – le webdocumentaire cherche son modèle économique.
La télévision est aujourd’hui encore le premier média de masse même si internet est utilisé par un public de plus en plus large. Pour citer un exemple, la BBC reçoit en moyenne 66 millions de visiteurs par mois sur son site web mais cela représente à peine 10 % de son audience TV. même si ces écarts sont nettement moins prononcés sur des chaînes de diffusion plus petites (ARTE, par exemple) il n’est pas surprenant que les financements publics – et les diffuseurs eux-mêmes – ne soient pas encore enclins à supporter financièrement des publications destinées à la toile. La situation pourrait néanmoins évoluer très rapidement avec l’arrivée des télévisions connectées.
Contrairement à une idée assez répandue, la production de contenus pour le web coûte cher, souvent d’ailleurs beaucoup plus que celle d’un documentaire classique destiné à la télévision. Les compétences requises pour développer et diffuser ce type de produit s’ajoutent en effet à celles qui sont nécessaires à la production du contenu lui-même.
D’autre part, les producteurs de films documentaires traditionnels ne sont de loin pas familiers avec les pratiques de l’internet. Ils sont encore à la peine pour trouver une audience sur ce média. La toile possède en effet ses propres règles de fonctionnement, une visibilité sur le web implique de connaître les codes et le fonctionnement des réseaux sociaux, de savoir trouver les bons bloggers, à se familiariser avec un « timing » de promotion très différent de celui des distributions dans le monde réel.
Si aujourd’hui beaucoup de voix s’accordent pour dire qu’il n’y a pas de modèle de gestion ou de financement dans la proto-industrie du webdocumentaire, ceci est au moins partiellement dû à une méconnaissance du potentiel qu’offre la toile dans ce domaine. Le web ouvre en effet de nombreuses occasions de partenariats innovants : syndicalisation, crowdfunding, recours à des associations, parrainage par des marques… les possibilités ouvertes sont larges.
Article écrit dans le cadre du débat Publications interactives, actualité et perspectives : l’exemple du webdocumentaire.
Dominique Bürki
Professeur
Sources :
- Webdocu.fr | Nouvelles formes de narrations, connectées, multimédia et interactives
- Transmedia Lab
- Transmythology.com | Transmedia Storytelling, Audience Engagement, & The Evolving Business of Entertainment
- Transmedia, Film, Interactive | JawboneTV, The Evolution of Story
- Le Quai d’Orsay raconte la diplomatie en huit webdocumentaires
Featured image : Ozerina Anna /Shutterstock
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