Laurent Bolli rejoint le MEI : « Je suis un omnivore culturel »

Début juillet 2018, Laurent Bolli a rejoint la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD).

En tant que professeur associé, Laurent Bolli consacrera une partie de son temps à l’enseignement, pour la filière de Bachelor en Ingénierie des médias. Ses autres activités seront dédiées à la recherche appliquée et à la conduite de projets, au sein du Media Engineering Institute (MEI).

Passionné par un grand nombre de domaines, notamment les rapports entre nouvelles technologies et culture, il s’intéresse particulièrement à l’histoire des objets techniques et à la manière dont l’être humain s’approprie l’environnement qu’il se construit. Parmi ses passions, la photographie de terrain est pour lui un bon moyen de rendre compte de ses observations.

Il nous en dit un peu plus sur son parcours, son expérience et ses centres d’intérêts durant la courte entrevue que nous vous offrons dans cet article. Nous sommes heureux de l’accueillir et lui souhaitons plein succès dans sa nouvelle fonction.

Parle-nous un peu de ton parcours ?
Après un baccalauréat en sciences, j’ai obtenu un master en design industriel à l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL). Cette formation m’a fait découvrir le sens du mot « utilisateur » et le développement de projets transdisciplinaires. De 1998 à 2015, j’ai co-dirigé l’agence Bread&Butter, fondée après mes études, spécialisée dans le développement de produits médias. En 2015, j’ai fondé Odoma Sàrl, un bureau de consulting qui développe des services et des produits utilisant l’intelligence artificielle au service du patrimoine culturel, réunissant mes deux principaux centres d’intérêt, les nouvelles technologies et la culture. J’interviens par ailleurs à la Haute École d’Art et de Design (HEAD) à Genève, en Master Media Design.

Qu’est-ce qui t’as poussé vers l’enseignement ?
Ce qui me motive avant tout est la possibilité d’amener une réflexion orientée utilisateur dans une école d’ingénieurs. Dans ma pratique, j’ai été souvent confronté à une grande incompréhension entre designers, ingénieurs et managers, venant du fait que les écoles respectives formant ces professionnels ignoraient les autres. Je vois ce poste comme une opportunité pour renforcer l’intégration d’une approche transdisciplinaire centrée sur les utilisateurs. Plus globalement, je suis convaincu que la Suisse et ses écoles de pointe peuvent se profiler comme pionnières dans le domaine de l’expérience utilisateur (UX) comme elles ont su le faire pour le graphisme dès les années 50, dont le « style international et la notion de grille entre autre» sont aujourd’hui unanimement reconnus.

Selon toi, quels sont les enjeux de l’UX actuellement ?
Les grandes problématiques actuelles sont l’économie de l’attention, l’accès aux données du passé (privées et publiques) et l’influence de l’intelligence artificielle qui va mener vers une personnalisation accrue des interfaces utilisateurs (UI) et des moyens d’interaction plus généralement. Le développement des objets connectés montre déjà que les interfaces seront beaucoup plus pervasives qu’aujourd’hui.

A ton avis, a quoi ressemblera le UX design dans 5, voire 10 ans ?
On ne parlera probablement plus vraiment d’UX design (qui a déjà aujourd’hui de la peine à se définir), mais plutôt simplement de « experience development ». Il y aura probablement une spécialisation accrue des métiers nés dans l’UX d’aujourd’hui et le rôle de l’UX deviendra plus encore un rôle d’architecte, d’auteur de choix conceptuels s’appuyant sur des corps de métier nombreux et spécialisés pour la réalisation.

Durant ta carrière, quel projet a été le plus passionnant ?
J’ai eu la chance de travailler pour de nombreux projets prospectifs dans le luxe et la culture qui m’ont permis de proposer des interfaces innovantes. Je citerai notamment le concours remporté pour le développement d’une application culturelle avec la Bibliothèque Nationale de France, autour de l’œuvre de Voltaire et le travail sur le projet de Venice Time Machine, avec le Prof. Frédéric Kaplan, du EPFL Digital Humanities Laboratory (EPFL DHLab). Je peux mentionner aussi l’exposition Mental Work, une collaboration Art et Science entre l’artiste Jonathon Keats, le producteur Michael Mitchell et l’EPFL qui permet de contrôler des machines physiques avec la pensée tout en permettant la récolte de données pour faire avancer la recherche.

Est-ce que tu as déjà été confronté à des résultats surprenants lors d’un test d’utilisateur ?
Tous les résultats utilisateurs sont généralement surprenants car il est extrêmement difficile d’anticiper le comportement humain. Je me souviens d’une série de tests menés sur une interface de e-commerce qui proposait sur sa home page un large bandeau avec un bon de réduction. Le client l’avait mis en grand et très coloré et ne comprenait pas pourquoi il n’avait pas assez de conversion [1]. Les tests ont montré que les utilisateurs pensaient instinctivement que c’était de la pub et n’y prêtait même pas attention (= selective blindness). Pour un client, voir en direct le comportement d’utilisateurs peut être parfois traumatisant !

Quelles compétences essentielles penses-tu transmettre aux jeunes ingénieur-e-s médias ?
Au delà du contenu même du cours, j’aimerais leur transmettre l’idée que leur curiosité et leur capacité à l’auto-critique leur donnera un avantage compétitif important. Ils doivent arriver à penser 2-3 ans en avance pour proposer des solutions innovantes aujourd’hui, que ce soit dans la manière de gérer un projet, dans sa conception ou son développement.

As-tu déjà un projet sur le feu ? 
Je travaille sur plusieurs projets que j’aimerais amener au sein du MEI. Je peux citer « L’Encyclopédie d’Yverdon », un projet culturel qui ambitionne de redonner une vie numérique à cette œuvre nationale du 18e ; la suite de « Mental Work », mentionné plus haut, en collaboration avec le laboratoire de BCI /EPFL Campus Biotech, dont les interfaces sont un sujet de recherche important ; « Scholar Map », une interface permettant la visualisation rapide de corpus documentaire et scientifique. Des collaborations avec le CIO, notrehistoire.ch, le CHUV, l’EPFL DH Lab, la HEP Vaud et la HEAD sont également imaginables.

[1] « Une conversion peut être définie par le fait qu’un visiteur ou que le destinataire d’une campagne accomplisse l’action recherchée. » – Source : definitions-marketing.com

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