Médiamorphoses 2019
La transition numérique est en marche. Elle inquiète et fascine à la fois, à l’image de cette chronique contemporaine: des médias énergivores et boulimiques, ceux qui nous vendent le véritable amour, ou ceux qui nous promettent en mariage à une compagnie artificielle, ceux qui nous stupéfient, nous obsèdent, ou nous empêchent de réfléchir en dictant nos choix.
Dans le cadre de l’édition 2019 du cours intitulé « Evolution des médias », les étudiants de 1ère années de la filière de Bachelor en ingénierie des médias sont invités à réfléchir, en groupe, sur les mutations en cours.
Ils ont proposé différents sujets, les ont creusés, documentés, analysés, puis synthétisés sous la forme d’un petit article. Les travaux sont évidemment de qualité variable, mais les questions soulevées sont toujours passionnantes !
Vous trouverez ci-dessous un résumé de chaque article. Si un sujet vous interpelle, libre à vous de télécharger l’article en entier. Vous pouvez également consulter les articles de l’édition 2018.
Résumés des articles de la classe 47
Identités numériques, anonymat, pseudonymat
Il n’y a pas si longtemps, l’internaute qui consultait un serveur de fichiers en libre accès n’avait pas d’autre choix que de s’appeler anonymous pour se connecter (file transfer protocol, en mode lecture).
Peu après, arrive le web. Chacun pense le parcourir dans l’anonymat le plus total, alors qu’adresses IP, empreintes des navigateurs et profils de consultation laissent des traces que divers services informatiques aguerris sont aujourd’hui parfaitement capables de remonter.
Entretemps les services de messagerie grand public inondent la planète. C’est de là que les commentaires de Jean Dupont – alias Dudu74 désormais – envahissent les articles de blog ou autres forums de discussion. Et que cela soit clair, il n’est pas encore question de liberté d’expression, il s’agit juste d’endosser une identité pour exister sur la toile.
Puis c’est au tour des faibles ou des enfants. Il faut avancer à couvert pour préserver sa vie privée, se protéger d’employeurs aux convictions politiques ou religieuses différentes, ou tromper les prédateurs qui eux, se font vraiment passer pour ce qu’ils ne sont pas.
Enfin, sous l’influence d’un Google ou d’un Facebook – revenus en arrière depuis – chacun se met à croire qu’il faut exister sous son vrai nom sur les plateformes dites sociales, au risque de ne pas avoir de vie sociale du tout. Dudu74 est mort, vive Jean Dupont ?
Et maintenant, un gouvernement voisin relance le débat sur « l’abolition de l’anonymat ». Drôle d’idée, y aurait-il confusion avec le pseudonymat ?
Probablement, parce que l’anonymat parfait ne peut exister. D’ailleurs, tant que faire se peut, les activités illicites sont poursuivies, même sur le net. Quant à interdire les pseudonymes pour en finir avec les propos haineux et les fausses nouvelles… Difficile à croire, tant ils sont nombreux à déverser leur fiel sous leur véritable identité. Jusqu’à un certain président des Etats-Unis.
Enfin, quid d’une identité civique, délivrée par l’Etat ? La cyberadministration est-elle trop balbutiante ? En tous les cas, cette quête à l’identité numérique déjà riche en rebondissements n’a pas fini de faire parler d’elle, et nous allons vraisemblablement continuer à conjuguer nos identités au pluriel. Ce qui importe c’est de savoir ce que l’on fait, et pourquoi on le fait.
identité numérique; anonymat; pseudonymat; protection des données; cryptage; traçabilité; authentification; single sign on; SwissID; OpenID.
L’article complet n’est pas disponible au téléchargement.
CMS, passé, présent, futur…
Le web émerge dans les années ’90, avec des pages statiques, codées par des spécialistes. Très vite apparaissent divers outils auteurs, facilitant la production de code HTML et la mise en ligne de simples pages, mais nécessitant tout de même quelques compétences techniques.
Les années 2000 marquent le développement d’une nouvelle génération de logiciels : les systèmes de gestion de contenu, ou CMS (Content Management System). Ceux-ci offrent un avantage important par rapport à leurs prédécesseurs, en permettant une stricte séparation des compétences utiles à la mise en production d’un site web.
Désormais, programmeurs, designers et responsables éditoriaux peuvent travailler en toute indépendance. Les premiers sont en charge du fonctionnement du site, les seconds soignent la forme et le rendu graphique, tandis que les derniers assument le travail rédactionnel et garantissent la qualité du contenu publié.
Depuis, les CMS n’ont cessé de se développer et des centaines de «modules» voient le jour. D’abord pour faciliter la création d’une galerie d’images ou la mise en ligne d’un formulaire de contact, mais aussi pour gérer des droits d’accès, des flux de publication, des réservations en ligne et des agendas, des catalogues e-commerce et des paiements électroniques, etc.
Avec l’arrivée des réseaux sociaux et celle du web applicatif (HTML5) apparaissent d’autres besoins et d’autres solutions. Le site fait partie d’un écosystème plus complexe puisqu’à la présence web et à la messagerie électronique initiales, s’ajoutent le mur Facebook, la chaîne Youtube, le fil Twitter… Les moyens d’exister sur la toile se diversifient. Puis avec le cloud computing, une nouvelle génération gagne du terrain : les CMS en mode SaaS (Software as a Service) avec lesquels il est possible de créer tout un site depuis une simple page, avec une simplicité déconcertante.
En parallèle, et tout récemment, la publication numérique professionnelle explore d’autres voies. Notamment, celle du découplage entre le contenu et les plateformes qui l’affichent. Le terme CMS headless (sans tête) s’emploie pour exprimer le fait qu’une quantité de services différents du bon vieux site peuvent consommer un contenu désormais plus partageable.
De là que nous réserve l’avenir ? Des sites produits de manière quasiment autonome par des intelligences artificielles ? Des sites habités par des agents conversationnels qui répondent aux questions des internautes sans qu’ils aient à chercher ? Plus de sites du tout ? Des espaces tridimensionnels à visiter avec un casque de réalité virtuelle ? Nous ne sommes sans doute pas au bout de nos surprises.
Site web; page web; gestion de contenu; cms; cms saas; cms headless
Netflix, diktat du bon goût?
De nos jours, une grande partie de la population connectée passe des week-ends entiers sur Netflix. En quelques années, remplacés les programmes TV, pourtant si bien installés !
Il faut dire que la plateforme y met les moyens, acquisition massive de droits de diffusion de séries à succès, productions originales, exclusivités internationales, séries locales, nouveautés, etc. Netflix met le paquet pour nous rendre accros.
A quelques exceptions près (Le Seigneur des Anneaux ou Game of Thrones par exemple), chacun regarde ce qu’il veut, quand il veut. Mieux encore : où il veut, puisque Netflix s’affiche potentiellement sur tout appareil connecté qui comporte un écran, téléviseur, ordinateur, et téléphone pour les plus courageux ou lorsqu’il n’y a rien d’autre à disposition.
Les chaînes TV ont pourtant bien essayé de lutter, délinéarisation des programmes, offre en rattrapage ou replay, vidéo à la demande, réseaux multiplateformes, production de web séries et partenariats avec, ou même contre, les pure players (acteurs présents uniquement sur la toile).
Les services OTT (Over-The-Top), ou services par contournement – offres concurrentes aux fournisseurs média traditionnels, en ligne exclusivement – ont fait l’objet de toutes les convoitises. Ce ne sont pas les compétiteurs qui manquent, Youtube TV, Amazon Prime Video, Hulu, Playstation Vue, HBO, Vevo, Twitch… mais il faut reconnaître que Netflix a su tirer son épingle du jeu.
La plateforme figure désormais sur le nouveau podium des entreprises promises à diriger le monde. Après les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) voici les NATU (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber) qui prennent en charge notre hébergement de vacances, nos déplacements… et nos divertissements !
Mieux encore, des pratiques inattendues découlent d’un tel succès, par exemple, grâce à ces séries disponibles en plus de 20 langues, une nouvelle génération d’outils apparaît (Sufli, LNN, Fleex, Subtly), dont le but consiste à nous faciliter… l’apprentissage des langues ! Les adeptes de Binge Watching (visionnage en série d’épisodes de séries) pourraient trouver un nouveau sens à leur activité favorite.
Comment en sommes-nous arrivés là ? La puissance des algorithmes de recommandation, dans lesquels l’entreprise a investi des millions, la richesse de son catalogue ? Quelles conséquences peut-on envisager, sur l’avenir de la TV, sur la qualité de l’offre, sa quantité, sur la diversité culturelle ?
En tous les cas, c’est une nouvelle ère qui démarre. La question qui subsiste est de savoir ce qu’il nous plaira de regarder ces prochaines années, et pourquoi.
Netflix; streaming; séries; TV; télévision; divertissement; culture; tendance
Journalisme et IA, pour le meilleur ou pour le pire?
Avec la récente prolifération des data centers et les avancées des processeurs graphiques en puissance de calcul, les capacités de stockage et de traitement atteignent des niveaux impensables il y a quelques années.
Ces récents progrès de l’informatique – et des télécommunications – ouvrent de nouveaux horizons dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), appliquée notamment à l’ingénierie linguistique, ou traitement automatisé du langage naturel (TALN).
En 2011 déjà, le programme Watson d’IBM avait été « nourri » de plus de 200 millions de pages de texte encyclopédique, pour devenir vainqueur toutes catégories du populaire Jeopardy, la version américaine de notre fameux « Questions pour un champion ».
Cette nouvelle génération d’IA qui propose des résultats basés sur l’apprentissage – et non plus sur un ensemble de règles bien définies comme le faisaient les premiers bots – pourrait bien se mettre à créer du contenu rédactionnel intelligible.
Le journalisme a déjà passablement souffert et il ne semble pas y avoir de recette miracle pour redonner de la valeur à ce qui désormais abonde, à savoir l’information. En cause, le journalisme citoyen, reporter amateur, infobésité, infopollution, information overload, en un mot : internet. Alors, à force que les revenus diminuent, les IA vont-elles finir par remplacer les journalistes ?
Les premiers signaux remontent à 2014, avec Quakebot, un chroniqueur automate du Los Angeles Times qui, depuis, publie sans relâche des news sur les tremblements de terre. Cependant, la structure de ses communiqués reste simplissime et immuable : date et heure, magnitude et lieu.
Plus récemment, avec Heliograf du Washington Post, ou Tobi du groupe Tamedia, on entrevoit des capacités rédactionnelles plus avancées qui semblent fonctionner pour autant que le sujet traité reste factuel : résultats sportifs, boursiers ou électoraux.
Mais les IA peuvent offrir une quantité de contributions indirectes au travail des journalistes : capacités d’analyse hors du commun pour repérer des anomalies ou des fake news, écoute ou monitoring pour proposer des listes de sujets d’actualité à traiter, force de proposition pour titrer un article ou pour l’illustrer, etc.
Reuters et Lynk Insight, Bloomberg et Cyborg, Forbes et Bertie, Associated Press et Radar, les initiatives ne manquent pas. Utilisées à bon escient, si la profession accepte d’acquérir les compétences utiles – travailler avec et pas contre – les IA pourraient bien nous offrir un journalisme d’un genre nouveau : plus sophistiqué, plus puissant, pour le meilleur et pour le pire !
automated journalism; algorithmic journalism; computational journalism; data journalism; machine-generated journalism; robot journalism; robot reporter
Intelligences ou paradis artificiels?
Radio, télévision, console, tablette, notebook, smartwatch, smartphone… autant d’appareils indispensables au quotidien ? Certainement pas, du moins par pour tous et pas tout le temps. Sauf que, au hit-parade de l’addiction et devant le jeu vidéo, le téléphone mobile est en tête de classement.
La FOMO, Fear of Missing Out ou peur de manquer quelque chose, se popularise en 2004. La nomophobie, no mobile-phone phobie ou l’angoisse à l’idée d’être séparé de son mobile, arrive en 2008. Avec elles, un cortège de comportements plus ou moins inquiétants : le Phubbing, pour Phone Snubbing, ou le fait de préférer son téléphone à son entourage, le Smombie, pour Smartphone Zombie, qui désigne les piétons rivés sur leurs écrans. Ou plus ancienne, l’IAD pour Internet addiction disorder, idéale pour entreprendre une cure de désintoxication numérique, ou digital detox.
Comme si cela ne suffisait pas, un détour du côté de la société japonaise laisse entrevoir une suite plus étrange : l’addiction aux robots.
On connaissait les Otakus, des personnes isolées, parce qu’elles consacrent le plus clair de leur temps à des activités intérieures et solitaires, mangas, jeux vidéo, etc. Hikikomori désigne l’état « psychosocial » de ceux qui choisissent de vivre cloîtrés, parce qu’ils ont le sentiment d’être accablés par la société, de ne pouvoir accomplir un objectif de vie. Citons encore les NEETs, pour Not in Education, Employment or Training – ni étudiant, ni employé, ni stagiaire – que l’on associe à un mouvement de lutte contre le modèle économique japonais, qui pousse au « Karōshi », soit à la mort due au travail.
Une partie de cette population est donc bien placée pour se tourner vers la technologie, pour combler cette absence de communication avec le monde extérieur. L’industrie l’a compris, à l’image de Gatebox Inc. qui propose à ses clients d’acquérir une intelligence artificielle, avec laquelle ils pourront vivre, échanger, discuter… et même se « marier ».
Sans confondre avec le secteur potentiellement florissant de la digisexualité – lovotics en anglais – il est vraisemblable que le phénomène se développe ailleurs dans le monde. Déjà parce que l’amour n’est pas qu’une question d’hormones, mais aussi d’émotion. On peut pleurer devant son téléviseur, on doit pouvoir rire à l’occasion d’une conversation avec une machine.
D’ailleurs, une certaine Julie Desk, secrétaire virtuelle proposée par une start-up française, semblent avoir de plus en plus d’admirateurs. Elle lit, parle, calcule, gère messagerie et agenda, se met en quatre pour rendre tant de services, qu’elle en est… adorable.
Alors qu’il est trop tôt pour les nommer, la question suivante consiste à savoir comment la société va tenir compte de ces nouveaux comportements. Un militant GINK (Green inclinations, no kids) soucieux de l’empreinte carbone, pourrait avoir de la compassion et saluer un choix de vie original. Mais pour le plus grand nombre, la promesse d’une nouvelle addiction semble plus vraisemblable.
addiction; nomophobie; intelligence artificielle; anthropomorphisme; personnification
Perce ta bulle!
Vous est-il déjà arrivé de parcourir une page Instagram, puis de retrouver quelques minutes plus tard des publications similaires sur votre fil d’actualité ? Ou encore que Facebook vous propose d’intégrer un groupe ou d’aimer une page liée au végétarisme alors que vous êtes vous-même végétarien ? Cela ne vous a-t-il jamais inquiété ni interpellé ?
La vérité c’est que vous êtes dans une bulle, ou plus communément appelée «bulle filtrante». Et vous vous y sentez bien, parce qu’elle vous présente uniquement des contenus qui vous intéressent.
A l’origine du phénomène, c’est un problème de masse critique. En effet, sur votre réseau social préféré, il n’est plus possible de consulter l’ensemble des publications de vos amis. Le principe appliqué par les plateformes consiste donc à mieux vous connaître, pour ne vous servir que ce qu’elles estiment être digeste, et à la fois meilleur pour vous.
Que ce soit sur Facebook, Instagram, Twitter, Youtube ou Google, tout y passe. Chacun de vos faits et gestes est traqué (clic, like, vote, recherche, commentaire, etc.) et alimente un algorithme, qui pourra alors décider ce qu’il va vous montrer.
Le problème, c’est que derrière ces bulles filtrantes il y a maintenant plus que cela. Le but ? Vous cataloguer afin de vous faire agir d’une certaine manière : consommer des publications en accord avec votre manière de penser, puis vous faire acheter des produits ciblés.
Après avoir réuni les informations nécessaires à l’établissement de votre profil, ces plateformes vendent vos données à des entreprises, sous la forme d’espaces publicitaires, mais pas seulement. Alors, toujours contents d’être dans cette bulle ?
Si cela vous révolte, sachez que vous n’êtes pas seuls. En 2017, la Fondation KIND affirmait que seulement 5% des utilisateurs Facebook voient des publications très différentes de leur vision du monde.
Elle a lancé l’expérience « Pop Your Bubble » qui propose un outil pour brouiller les pistes. Elle vous invite, par exemple, à suivre une série de personnes, qui se trouvent… à l’opposé de votre bulle.
Alors, prêts à percer la tienne ?
bulle filtrante; personnalisation; engagement; recommandation; tracking; ciblage
Internet, mauvais élève de la transition écologique
D’après diverses études, il y aurait un peu plus de 4 milliards d’internautes en 2018, soit 8% de plus qu’en 2017. La progression devrait se poursuivre sur 2019.
Avec des projets quasiment pharaoniques, démarrés il y a une vingtaine d’années déjà, le business de l’Internet mobilise des infrastructures physiques toujours plus imposantes. Du côté du trafic de données, il faut compter avec une augmentation annuelle d’au moins 20%.
Cette course à la connexion haut débit, disponible partout dans le monde, a un coût, qui semble avoir été oublié.
Dépendant de l’électricité, l’Internet consomme sans cesse, et toujours plus. Cette pollution invisible mais colossale provient aussi bien des clients internautes, que des fournisseurs, notamment des datacenters.
Le cloud, comme on l’appelle, prend des allures de nuage noir, lorsque l’on se renseigne sur la consommation de ces infrastructures en activité permanente.
La croissance, avec ses exigences en espace de stockage, en vitesse de transmission et en temps de traitement, suppose une adaptation continue.
La performance requiert de l’énergie, beaucoup d’énergie, peu importe la source. Certes, depuis les campagnes de Greenpeace en 2010, les grands acteurs tentent de faire bonne figure en accordant une attention plus soutenue à la provenance de l’électricité qu’ils consomment, mais les centrales à gaz ou à charbon continuent de tourner.
Cet article est motivé par la recherche de solutions à la consommation énergétique de l’Internet. Aucune législation n’oblige les fournisseurs à être plus efficient, cet espace de non-droit devrait être passé à la loupe. Si c’est l’offre qui génère la demande, alors en l’absence d’une réglementation, cette dernière va croître de manière exponentielle.
Mais il est également possible d’agir sur la demande. Un effort conséquent d’information devrait être entrepris auprès du grand public. Il serait alors possible de responsabiliser les internautes, en leur proposant des éco-gestes, comme ceux qui dans la vie quotidienne contribue à diminuer l’empreinte carbone.
Une prise de conscience est nécessaire. Elle a peut-être déjà commencé.
GAFAM; datacenters; écologie numérique; sobriété numérique; pollution; société
La musique change de disque...
Du gramophone au lecteur CD, les supports audio n’ont pas cessé d’évoluer. Mais la dernière mutation s’est avérée plus conséquente.
En effet, parallèlement au développement de l’Internet, le support s’est dématérialisé, avec des conséquences sur l’ensemble d’un secteur, l’industrie musicale.
Comment fait-elle face à cette révolution? Comment s’organisent la distribution, la diffusion, la gestion des droits d’auteur et celle des revenus ?
Le modèle économique classique de l’industrie du disque se composait au moins d’un artiste, d’un manager, qui s’occupe de l’organisation, et d’un label, qui gère la production et la distribution. Les Majors, soit les labels les plus importants – avec environ 70% du marché mondial – étaient au nombre de 6 dans les années ’70.
Les problèmes ont commencé vers la fin des années ’90 avec l’apparition de Napster. Il s’agit d’une plateforme P2P (pear to pear), un logiciel grâce auquel les internautes pouvaient s’échanger des fichiers, entre eux, sans passer par un serveur particulier. Il va sans dire que les fichiers audio circulaient bon train.
Avec les habitudes de gratuité véhiculées par l’Internet, la notion de piratage n’était pas comprise. Pourtant, en 2008 l’industrie française annonçait une diminution de son chiffre d’affaires de 50% par rapport à ce que lui rapportaient ses artistes encore cinq ans plus tôt !
La réaction a été lente et pas forcément adéquate. La gestion des droits numériques (DRM) est la seule action notable des Majors sur la scène internet. Mais sans succès. Cette technologie n’est d’ailleurs pas au goût des organismes qui défendent les principes d’ouverture du réseau.
De là, certains Majors ont disparu, d’autres ont fusionné. Depuis 2015, ils ne sont plus que trois. Un glissement s’est opéré, du métier de producteur à celui d’éditeur. Les artistes deviennent des marques, les produits dérivés se développent. Les labels tentent également de se substituer au manager. Ils deviennent propriétaires de salles de spectacles, ou organisateurs de tournées.
Dans le même temps de nouveaux acteurs apparaissent et les plateformes de téléchargement se mettent en place. Non sans mal, à l’exemple de Deezer qui a commencé à être connu pour violation du droit d’auteurs. Puis le téléchargement devient « progressif », le streaming est né.
Le décor est posé pour un nouveau mode d’organisation, sans support, dans lequel la musique ne s’achète plus mais se loue. En 2014, les revenus du numérique dépassent enfin ceux du support physique !
L’industrie d’antan a fini par s’adapter, en négociant ses catalogues avec les plateformes. Mais les revenus ont considérablement diminué, ouvrant la voie à un nombre impressionnant de petits labels indépendants, souvent tenus par les artistes eux-mêmes.
Désormais il y a la place pour deux types d’artistes, ceux qui travaillent avec des intermédiaires et ceux qui n’en ont pas.
musique; majors; droits d’auteur; P2P; DRM; streaming
La publicité personnalisée
Le 27 octobre 1994, la version en ligne du magazine Wired affichait le premier bandeau publicitaire – ou banner – de l’histoire du web. Le lien renvoyait sur le site d’AT&T, et 44% des internautes l’ont activé.
Vingt ans plus tard, selon les statistiques, les publicitaires pouvaient attendre tout au plus 5 clics pour 10’000 affichages. En cause, le banner blindness ou l’aptitude développée par les utilisateurs à les ignorer. Mais selon le principe du retargetting, si le banner proposait une publicité pour une offre déjà vue par l’internaute, alors ce chiffre était multiplié par 10 !
Pendant toutes ces années, de nombreux modèles ont été testés, aussi bien du côté du rendu (rich media, publicité interactive, publicité native) que du modèle économique (coût par vue, coût par clic, coût par acte d’achat, etc.). Les annonceurs, les éditeurs, ou les agences, ont expérimenté toutes sortes de systèmes, jusqu’à la publicité programmatique, par laquelle des algorithmes décident entre eux quand afficher quoi, pour qui, et à quel prix.
Comme le relève Ethan Zuckerman du MIT MediaLab : « Une fois que nous avons supposé que la publicité est le modèle par défaut de l’internet, l’étape suivante est évidente : nous avons besoin de plus de données pour créer des annonces ciblées qui semblent plus efficaces ».
De là, en toute logique, la collecte en masse d’informations sur chaque individu, ou consommateur potentiel, devient la norme. Ce qu’il consulte, à quelle fréquence, ce qu’il recherche, ce qu’il achète, ce qu’il écoute, tout est bon à prendre.
Ce ne sont pas les moyens qui manquent, adresses IP, cookies, mouchards analytiques, trafic en mode authentifié, empreintes de navigateur, géolocalisation, analyse de messagerie… jusqu’à l’écoute audio illicite, à en croire certains témoignages, et sans compter la récente fermeture du groupe de travail « Tracking Protection » au W3C.
Alors que dans le monde analogique, la publicité restait fortement découplée des transactions, nous entrons dans un nouveau monde où tout impact d’une publication, sur les ventes, devient mesurable. La publication et l’espace médiatique dans lequel elle s’opère, sont désormais un complément du produit !
Les bloqueurs de publicité n’y changeront rien, puisque d’abord ils ne bloquent que l’affichage, et contribuent ainsi à la mort lente des publications qui sont justement financées par la publicité. Ensuite, ils n’empêchent pas la collecte de données.
Cette quête effrénée en matière de ciblage est en passe de modifier profondément le lien entre le message et le destinataire, qui devrait se sentir toujours plus concerné. En effet, si ce message est vraiment fait pour vous, et que le prix l’est aussi, comment pourriez-vous résister ?
Dans un monde où la population commence à se poser des questions sur le lien entre internet et sa vie privée, quelle place aura la publicité personnalisée ? D’autres modèles sont-ils envisageables ?
publicité; personnalisation; anonymat; tracking; ciblage; vie privée
Un smartphone stupéfiant!
Addiction Suisse estime que l’usage d’Internet, notamment au travers du téléphone, est problématique pour environ 1% de la population suisse connectée. Les signes d’addiction atteindraient une part plus importante chez les jeunes, de 8.5% pour les moins de 19 ans.
La crise d’angoisse à l’idée d’être séparé de son téléphone, ou le besoin obsessionnel de rester en contact permanent avec les autres par peur de manquer un événement, peuvent effectivement prendre des dimensions inquiétantes.
Puis il y a ceux qui, autour d’une table, en famille ou entre amis, semblent coupés du monde, ou plutôt reliés à d’autres mondes, en ignorant parfaitement leurs voisins. Dans un autre registre, sur le plan physique, citons encore les accidents causés par la distraction due au mobile. Conducteur, piéton, auteur ou victime, nous sommes potentiellement tous concernés.
De la légère dépendance à l’addiction malsaine, il faut reconnaître que les responsables de ces maux ont bien travaillé. Applications, réseaux sociaux, expérience utilisateur, tout est conçu pour stimuler notre attention. Et comme le fait la cocaïne, l’usage du téléphone augmente la production de dopamine dans le cerveau des utilisateurs. Toujours plus de lien social, toujours plus de reconnaissance, toujours plus de plaisir…
Cela dit, il n’y pas que le côté obscur. Avec la puissance du réseau, toutes sortes d’informations sont à portée de main, dans notre poche, en direct. Nous pouvons garder un contact permanent avec des parents éloignés, consulter la météo, répondre à des questions improbables, arriver à bon port sans connaître les lieux, connaître les dernières informations locales, échanger des idées avec d’autres personnes, etc.
Oui, la dépendance au mobile nous guette, mais compte tenu des services rendus, il n’est pas question de l’abandonner. Il s’agit donc de trouver la bonne mesure, pour en tirer le meilleur parti.
Pour les plus atteints, nous recommandons de commencer par une bonne digital detox, de deux semaines au moins. Les autres trouveront une série de petits conseils ou règles à suivre pour se débarrasser des mauvaises habitudes.
Le smartphone est un outil aux applications infinies, tel un couteau suisse, mais digital. Les risques de s’y perdre sont bien présents et c’est à l’utilisateur de faire la part des choses. Utile, futile, superflu mais amusant, nécessaire ou indispensable… à chacun son équilibre !
Nomophobie; fomo; phubbing; smombie; addiction; neurosciences; time well spend
Amour 2.0
Si nous omettons la fonction purement pratique et reproductive de la formation d’un couple, trouver sa moitié est l’idéal amoureux que nous recherchons. Trouver la personne avec qui passer sa vie, partager ses joies et ses peines est un but que beaucoup poursuivent, toute leur vie durant.
Notre rapport à l’amour diffère selon la région ou l’époque d’où nous venons. Aujourd’hui, nous pouvons remarquer qu’il est de plus en plus courant que les rencontres amoureuses se fassent sur la toile. Plus au travail, dans un club ni à l’école. Encore moins à la rubrique « rencontres » du quotidien local, comme c’était le cas il y a encore quelques années!
Le développement de l’internet et les nouvelles possibilités qu’il offre au grand public ont fait s’agrandir considérablement notre cercle de rencontres. Nos critères de recherche sont donc toujours plus précis et exigeants.
En effet, nous sommes désormais prêts à aller toujours plus loin pour trouver la perle rare: cette personne incroyable qui incarne notre fantasme de l’être parfait et qui, bien sûr, nous aimera en retour.
Cette nécessité de trouver le graal a été le point culminant menant à l’apparition des sites de rencontres dotés d’outils de recherches plus ou moins précis et dirigés. Des centaines de plateformes existent aujourd’hui, comme Tinder, Meetic ou encore Adopte un mec.
Certains services s’avèrent très précis, ciblant des personnes faisant partie d’un cercle plus restreint. Des services personnalisés visent, par exemple, exclusivement des hommes homosexuels, comme Grindr. D’autres vont cibler particulièrement des personnes mariées souhaitant une aventure discrète.
Vous l’aurez compris, il y en a pour tous les goûts. Mais ce surchoix catégoriel qu’offrent les applications de rencontre change-t-il notre comportement amoureux ? Jusqu’où le monde numérique saura-t-il répondre à nos attentes? Entre satisfaction et frustration, la limite est très fine.
online dating; profile Matching; elo algorithm; désirabilité; degrés de séparation
Joyeux anniversaire RGPD
C’est le 25 mai 2018 que le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) est entré en vigueur dans toute l’Union européenne. Ces nouvelles lois sont censées permettre aux citoyens d’avoir un plus grand contrôle sur leurs données personnelles, responsabiliser les entreprises et renforcer la protection des données. Une année s’est écoulée, où en sommes-nous ?
Rappelons d’abord que le RGPD a eu des répercussions directes sur un nombre incalculable d’entreprises, qui, sous peine de poursuites, ont dû mettre en conformité leurs activités numériques.
Ceci a par ailleurs donné naissance à toute une offre d’accompagnement, du cabinet de conseil au guide de bonnes pratiques, en passant par des cours en ligne et des centaines d’extensions logicielles, à l’exemple du « GDPR Cookie Consent » de WordPress qui comptent plus de 500’000 installations actives.
La Suisse, en pleine révision de sa Loi sur la protection des données, va devoir composer avec le RGPD. D’ailleurs bon nombre d’entreprises suisses ont des clients européens pour lesquels la loi s’applique.
Les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) ont dû revoir leurs conditions générales. Sans que l’on puisse le vérifier, Facebook a estimé qu’une baisse importante de ses activités était directement liée à l’entrée en vigueur. Pour éviter le pire, les données de 1.5 milliards comptes auraient été supprimé des serveurs irlandais. Twitter a bloqué les personnes ayant affirmé avoir moins de 16 ans, les influenceurs auraient pu perdre des dizaines de milliers d’abonnés en une seule nuit.
Du point de vue du citoyen, la diversité des mesures prises par les éditeurs ne contribue pas à la généralisation du consentement « éclairé », selon le terme consacré. En effet, entre les bandeaux d’alerte qui disparaissent au premier défilement de page, ceux que l’on peut fermer sans les lire, ceux qui renvoient sur des systèmes de paramétrages incompréhensibles, ou sur des conditions générales interminables, pas étonnant que seuls 54% de la population estime comprendre ce qui a changé (sondage CNIL, octobre 2018).
Et si l’on entre dans les arcanes du marketing digital, entre l’illégalité avérée des cookie walls (ceux qui vous interdisent l’accès si vous les refusez) et la toute-puissance des walled gardens (ces écosystèmes qui traquent les données sur la base d’un identifiant), pas sûr que ceux qui pensent avoir compris mesurent bien toutes les implications.
Tout aussi déroutant, les propos de ceux qui estiment que le RGPD renforce la position des géants du web, à l’exemple d’une déclaration récente du patron de Snapchat. Cette loi ne devait-elle pas justement lutter contre les champions de la collecte de données ?
Dans le même temps, Google se voit infliger une amende de 50 millions d’Euros pour son insuffisance à informer les utilisateurs sur le traitement de leurs données personnelles. Ce montant est environ 100 fois inférieur à ce que la loi pourrait exiger, et Google a déclaré vouloir faire appel. Les dénonciations s’accumulent, les plaignants s’organisent, et la justice a forcément besoin de temps.
Un an après, le RGPD reste un chantier extraordinaire. En dehors de sa dimension juridique, les enjeux politiques, économiques ou technologiques sont colossaux et nous sommes encore probablement très loin de comprendre où il va nous mener.
GAFA; données personnelles; RGPD; modèle économique
[…] l’article en entier. Vous pouvez également consulter les articles des éditions 2018 et 2109, et […]